De retour des championnats de France de 24 heures à Brive, je ne sais par quoi commencer tant les images se succèdent à l'issue d'une telle course.
Arrivé seul la veille assez tôt je prends contact avec le staff pour récupérer mon dossard et comprendre comment organiser le ravitaillement personnel, chaque concurrent se voyant attribuer une table à partager avec un autre concurrent. Mon épouse ne pouvant me rejoindre que le lendemain aux environs de la 5 ième heure de course, il s'agit de repérer les lieux et de laisser mon véhicule à proximité histoire d'anticiper mon autonomie de course pendant ces cinq premières heures. Rapide discussion avec quelques coureurs, photos, repérage du circuit (une boucle de 1273m à parcourir autant de fois que possible) et me voilà rentré à l'hotel pour une nuit agitée de drôles de rêves de course à pieds.
Le départ est fixé à 10h aussi je me lève de bonne heure et après un petit déjeuner léger je pars à pieds rejoindre la halle Georges Brassens. Je fais la connaissance avec le petit monde de l'ultramarathon et je découvre que le concurrent qui partagera ma table sera une concurrente mais pas des moindres puisqu'il s'agit d'Anne-Marie Vernet, championne du monde en 2008, championne d'Europe et qui va remporter l'épreuve féminine. Autant dire que je suis impressionné mais très vite, Anne-Marie et son mari Eric qui l'accompagne et la coache, vont me mettre très à l'aise et me soutenir énormément dans l'épreuve qui m'attend.
L'ambiance est joyeuse malgré l'énormité de la tâche que j'ai sur les épaules : mon objectif aller jusqu'au bout, ne pas m'arrêter, ne pas dormir. J'espère secrètement dépasser les 153 km et je rêve d'atteindre les 180km... Photo devant la mairie, puis minute de silence en mémoire de deux grands ultafondeurs récemment décédés et c'est le coup de pistolet. Nous dévalons à un bon 11km/h l'avenue qui nous mène au circuit, je pointe en queue de peloton et je retrouve ma table de ravito devant laquelle je passe sous les applaudissements de tous les accompagnateurs et de la foule relativement nombreuse: c'est bien parti pour 24 heures non-stop de footing!
J'ai découpé ma course en 6 blocs de 4 heures en anticipant une inévitable déperdition de l'allure.
Je sais que Marie sera là vers la cinquième heure, à l'entrée du second bloc et je m'accroche à cette idée en me focalisant sur mon allure que je contrôle sans cesse avec mon GPS, interdiction de dépasser les 9 km/h... Plus nous avançons, plus la chaleur devient difficile à supporter. Les abandons vont pleuvoir et déjà certains payent leur départ trop rapide. Je m'applique à respecter scrupuleusement mon plan de course et à m'hydrater tous les deux tours. Eric est un type fabuleux, il surveille ma course alors qu'il gère celle de sa championne! Je ne compte plus les encouragements et les félicitations, les petites tapes sur l'épaule et les sourire en début de circuit. Je pense à mon tendon d'Achille et j'espère qu'il va tenir. Je cours "en dedant" avec le maximum de relâchement possible posant mes pieds avec précaution et évitant de prendre le moindre risque. Des brumisateurs ont été installés, doublés de grandes bassines avec des éponges. J'en embarque une sous ma casquette pour emporter un peu de fraîcheur dans la fournaise qui s'installe. Entre midi et 17 heures, nous flirtons avec les 30°C. Je remonte doucement au classement, ce qui à chaque tour me galvanise.
Déjà cinq heures de course et Marie est là qui découvre cet étrange univers. Elle aussi est littéralement prise en charge par Eric qui lui dresse un bilan positif de ma situation tandis qu'Anne-Marie pointe déjà en tête de la course. L'âme de l'ultra est donc là, le haut niveau cotoîe le débutant avec la même dramaturgie et la même intensité.
Je me fixe la nuit en point de mire, nuit qui doit nous délivrer de la chaleur. Malgré mon anticipation pour le changement de vêtements, je suis surpris par le froid. Il est vingt trois heures vingt, cela fait donc onze heures que je cours et c'est l'hypothermie, les baillements incessants et l'envie irrépressible de dormir. Je décide de m'accorder 10 minutes de sommeil après m'être recouvert de vêtements et de couvertures. Après un quart d'heure et une boisson chaude, je repars en hurlant intérieurement de douleur car les muscles refroidis ne sont pas d'accord!
Deux tours en marchant me font perdre finalement seulement deux places au classement, je comprends que beaucoup d'autres coureurs ont craqué et sont partis dormir. Je suis donc galvanisé par cette idée et je vais passer la nuit à me focaliser sur ma remontée. J'ai entamé une course de régularité métronomique qui me fait grignoter une ou deux places à chaque tour.
Marie est repartie dormir, ce qui me donne un nouvel objectif: attendre (en courant bien sûr) son retour prévu pour 6 heures du matin soit 4 heures avant le gong. Ma régularité est récompensée par les encouragements de Guillaume Laroche, champion de France 2015, qui blessé assistait à la course en spectateur averti. Il est bientôt six heures, mes articulations vont bien mais mes muscles et mes tendons sont à la peine. Malgré tout j'ai le sourire car les places tombent encore et encore. Il reste encore 4 heures.
Le jour pointe au dessus de la Corrèze et avec lui une avalanche de fruits du platane, espèces de poils urticants qui irritent la peau et les yeux... Les lunettes sont bienvenues mais certains coureurs font les frais de ce contretemps fâcheux et doivent abandonner pour cause d'allergie.
A ce stade de la course, les calculs succèdent aux calculs. Deux heures c'est peu par rapport à l'ensemble, mais cela semble interminable. Eric me prodigue encouragements sur encouragements, Marie cours de la table de marque à la table de ravito. Je jubile car je sais que c'est une belle course que je viens de faire et que je vais atteindre mes objectifs. Eric m'incite à continuer jusqu'au bout pour ne rien regretter...
160,120km ; 58ième du championnat de France masculin; 15ièmeM2H/31 classés sans compter les nombreux abandons.
Je n'ai pas eu à me plaindre des tendons, ni des articulations, pas de problèmes intestinaux. Des ampoules c'est vrai et des courbatures un peu partout.
Je pense aux copains du forum ADDM (audelà du marathon) pour leur amitié spontanée et surtout merci à Anne-Marie Vernet e
t à son mari Eric, qui sont deux personnes extraordinnaires de gentillesse et de tact. Merci aussi à ma tendre épouse, Marie dont la présence m'est indispensable
.
Il y aura d'autres courses de 24 heures à mon programme, mais celle-là va rester dans ma mémoire avec une saveur toute particulière.