UN REVE DEVENU REALITE
PROLOGUE : MERCI D’ETRE ICI EN GRECE
Pour prendre la mesure de ce qui vient de se passer il y a tout juste une semaine, j’ai besoin de remonter à ce qui m’a conduit à appeler « Projet Spartathlon » dans mes fichiers ce qui est devenu aujourd’huiune réalité. Nous voilà en février dernier à Athènes, à deux jours de la clôture des inscriptions au Spartathlon, lorsque j’aborde les 24 heures du festival d’ultramarathon sur cette piste d’avion transformée en site paralympique et désormais laissée à l’abandon. Nous sommes quelques dizaines de doux dingues à tourner en rond pour des motivations diverses. La mienne est claire. J’ai échoué par deux fois à remplir les conditions pour le spart’ (Belvès 2015-12h23minutes ; Amiens 2016-10h38minutes) et une bursite mal placée m’inquiète au plus haut point. Marie ma compagne m’accompagne et ce n’est pas peu dire. Cette fois, j’ai de bonnes raisons de penser que ce sera la bonne et mon contrat sera rempli en 23h35, durée au bout de laquelle stopper avec 181 km au compteur suffira à me remplir d’espoir pour l’avenir. Dès que nous fûmes rentrés à l’Hôtel tout proche dans Glyfada, je me jetai avant même de me coucher, sur l’ordinateur prévu à cet effet et je validai mon inscription au Spartathlon pour l’édition 2017… C’est donc là que l’aventure a réellement commencé...
Mars 2017 le tirage au sort m’attribue la trente et une-nième position sur la liste d’attente…Après une attente interminable et plus de deux mois en tête de liste, j’apprends qu’un dossard m’est enfin attribué le 17 juillet, soit deux mois et demi seulement avant le départ.
Pendant ce temps j’avais toujours espéré et basé mon entrainement sur une préparation méthodique, des fois que…
Pour ceux que ça intéresse, je pense notamment à ceux qui comme moi sont très justes sur le papier et dont l’ambition est de finir la course dans les délais, j’ai utilisé en l’adaptant à mon profil, le plan suggéré par Jean-Philippe Brunon à qui je dois énormément, dans son merveilleux dossier sur le Spartathlon publié à l’occasion de sa première participation en 2013.
Après une partie qu’on peut qualifier de « foncière », achevée en mai par un abandon prématuré aux 24 heures de Brive au km 75 (10 heures de course…) en raison d’une douleur insupportable au tendon d’Achille gauche, davantage quantitative que qualitative, la partie spécifique a duré 10 semaines seulement. Deux blocs de 3 semaines de montée en charge avec à chaque fois une très longue course en « off » dont un mémorable 85 kilomètres dans le Morvan avec 1700m de D+ pour travailler les ravitos avec ma femme qui s’est familiarisée avec un roadbook spécialement conçu pour elle.
Il restait donc quatre semaines pour diminuer progressivement la charge et arriver le plus frais possible sur la ligne de départ. Dans ce plan, j’ai mis des séances avec des côtes longues de plusieurs dizaines de kilomètres courues dans la chaleur de l’Italie en Juillet puis dans le Morvan. J’ai suivi aussi les conseils de JP avec des séances de « lactate shuttle » qui m’ont permis de gagner en vélocité, ce qui je pense a été déterminant entre Athènes et Corinthe, partie qui m’a effrayé jusqu’au jour de la course. Je crois que j’étais aussi prêt pour le Spartathlon que pour un « 100 bornes » en mode compétition.
Nous voilà donc à Roissy-Charles de Gaulle où à l’entrée de l’avion je fais la connaissance d’un coureur qui m’interpelle dans le tunnel qui conduit à l’avion : David Le Broc’h. Bref échange après prise de connaissance et nous voilà à nos places respectives direction Athènes, cette fois c’est vraiment pour courir le Spartathlon. Nous arrivons donc à trois à l’Hôtel Emmentina où nous faisons connaissance avec le reste des français. J’avais hâte de connaitre Popol et JBJ « en vrai », ce fut un plaisir. Comme un gamin, je découvre des « idoles » comme Gilles Pallaruello, un type formidable et Françoise, directrice d’équipe intarissable. L’ambiance est au beau fixe et permet d’évacuer un peu l’immense stress qui est en moi. Je ne donne pas cher de ma peau et mes compagnons m’avoueront à la fin, qu’à ce moment du séjour, eux non plus n’estimaient pas mes chances d’arriver au bout très importantes. Sur le papier, je crois bien que j’avais le pedigree de coureur le plus ridicule : aucune course en ligne au-delà de 100 bornes dont mon record est de 10h38 et il n’y a qu’un 24 heures qui atteste de ma compétence, 181 kilomètres courus sur le plat et au frais avec tout le confort. Bref, va falloir faire ses preuves.
Pour autant, je ne suis pas venu pour dormir en route et ma préparation physique et technique a été méthodique.
Marie me suivra en voiture, elle dispose d’un roadbook « maison » avec chaque portion du circuit décrite en détail et surtout avec des durées et des temps de passage prévisibles. Cela peut paraître superflu mais en réalité à la fin, je n’avais que 10 minutes d’écart avec mes prévisions.
Remise des dossards, bières, dernier repas et dodo…enfin presque vu le stress. Je me lève vers 4h45 et déjeune comme d’habitude en mode LCHF « amélioré » à la sauce grecque.
Nous voilà donc dans le bus qui mène à l’Acropole où j’échange mes impressions avec Juan-Carlos Pradas et Eric Derivaz. Je suis dans mes petits souliers devant ces garçons aguerris et expérimentés que j’admire et je suis immensément fier d’être à leurs côtés. Marie nous a précédés en voiture de peur d’être prise dans les embouteillages. Sur l’esplanade du théâtre d’Hérodaticus les coureurs de tous les pays s’amoncèlent en tenues chamarrées. Accolades, retrouvailles, photos de groupe et concentration, le départ est imminent. Je règle mon GPS. J’ai choisi d’utiliser le mode « allure par circuit » et de suivre ma fréquence cardiaque jusqu’à Corinthe. Marie me donnera ma deuxième montre à Zevglolatio (km101,9) et mettra celle-ci en charge pour me la rendre à Nestani (km171) …si j’y parviens.
PREMIERE PARTIE : UNE COURSE FOLLE
Décompte à rebours et c’est parti, enfin libérés, je déguste avec délectation et une grande émotion ce début si longtemps et si intensément souhaité. Je pense à mon père sur les dalles de la Iera Odos…
Dans le petit matin, nous progressons à une allure vive pour moi si l’on imagine la suite, c'est-à-dire plus de 10 km/h. Je sais que c’est énorme, mais je l’assume pleinement car j’y ai songé pendant de longs mois de préparation qui m’ont sans aucun doute fait progresser même si j’ignore à quel point. Ma fréquence cardiaque atteint assez rapidement les 72% de ma FCmax, ce qui m’effraie. Cependant, je me sens très bien et concentré sur ma foulée et les opérations que je vais devoir effectuer pour ne pas commettre la moindre erreur. J’ai décidé de ne pas trop faire de Cyrano en ce début que je gère comme un « 100 bornes » tout en restant conscient que la moindre côte doit m’inciter à lever le pied. Je prends de l’eau à chaque ravito et je bois abondamment entre les CP en faisant quelques pas en marchant. J’ai inscrit sur ma gourde tous les points où je dois rencontrer Marie qui correspondent à 16 CP autorisés à l’assistance personnelle. Mon objectif premier est d’atteindre le CP6 soit le km42,2(Megara Weight bridge) en 4h25. C’est important car au-delà, j’ai prévu de décélérer jusqu’à 6’40 au km sur la portion suivante. La perspective d’une décélération programmée est un objectif très motivant, je n’imaginais pas à quel point. Je croise mes amis tour à tour. Angel, gai comme à son habitude, me laisse vers le 15 ième kilomètre. J’aperçois Gérard Ségui, qui semble bien concentré en ce début de Spartathlon. Vers le trentième kilomètre, je fais une grosse pause technique salutaire qui m’enlèvera ce souci pour tout le reste de la course. Tout va donc très bien et j’arrive à Megare dans un état de fraîcheur tout à fait acceptable en 4h16. J’en repars assez vite, après changement de ma ceinture porte-bidon comme une F1 fait le plein dans son stand. Bravo Marie, assistance sans bavure et encouragements appuyés. Je pioche sur la table des raisins de Corinthe, et des morceaux de banane. Je suis très heureux de mon sort et je visualise mon premier gros objectif : atteindre Hellas Can avant 16h00, avec au moins trente minutes d’avance sur la barrière horaire avec la perspective d’en repartir très vite en marchant et en m’alimentant. Ne pas traîner aux ravitos, c’est ce que les coureurs expérimentés disent et j’ai bien l’intention de mettre ce conseil en pratique.
Je « fonctionne » toujours très bien, notamment dans les côtes où je me force à ne pas trop courir pour ne pas griller mes cartouches, mais les jambes vont très bien, seul le cardio s’affole un peu.
Mon allure est toujours fixée à 9 km/h sur la portion qui mène au CP17Hotel Siagas (km 60,9) où j’ai prévu de passer à 13h40 soit avec 15 minutes d’avance. En fait je passe après 6h25 de course (13h25) ce qui me donne 30 minutes d’avance. Il est donc sage de ralentir pour respecter le timing prévu. Je passe donc à 8 km/h environ sur la dernière portion qui doit me conduire à Hellas Can (km 80) tant redouté et au-delà duquel je sais que je vais encore ralentir. Tout va très bien et je savoure littéralement tout ce qui m’arrive, y compris les raffineries qui puent, les voitures qui déboulent en nous rasant les fesses mais surtout l’immense ferveur des Grecs qui nous acclament comme des héros depuis le début.
Le passage sur le pont au-dessus du canal est un bonheur absolu et je sais que dans deux malheureux kilomètres j’aurai déjà rempli une partie très stratégique de ma « mission ». Je parviens donc après une grande ligne droite interminable au fameux CP22, avec pas moins de 50 minutes d’avance sur les barrières horaires. Marie m’attend et prends soin de moi. Je prends donc le temps de m’alimenter et de bien m’hydrater. Changement de ceinture et je repars comme prévu avec un bol de riz à la main que je déguste en marchant… Après 500 mètres environ je m’en débarrasse et me remets à trottiner en surveillant mon GPS pour me caler sur 7,5 km/h. En réalité je maintiens assez facilement les 8 km/h ce qui me galvanise. Je sais que je vais revoir Marie bientôt, à l’ancienne Corinthe, dans seulement 13 kilomètres. C’est un lieu que nous connaissions tous les deux et qui a beaucoup d’autres significations pour nous que de représenter un simple CP de course. J’y parviens avec toujours la même avance et après m’être séché et changé dans la perspective de la fraicheur du soir j’en repars avec toujours 50 minutes d’avance.
Le prochain objectif est le CP 29 (101,9 km) Zevgolatio, où je dois récupérer ma frontale et changer de montre. C’est aussi l’occasion de faire le point avant d’attaquer la partie montagne. Il y a neuf petits kilomètres à faire et je suis heureux d’être là…
SECONDE PARTIE : Vers la montagne
En arrivant au village, nous sommes assaillis de gamins qui nous font signer des autographes et même faire des selfies ! Pas possible de les décevoir et je me prête au jeu avec une fierté mal dissimulée, j’avoue.
Il y a de l’animation, j’arrive après 11h45 environ de course… j’ai donc environ une heure d’avance, un capital précieux qu’il va donc falloir gérer et peut-être même capitaliser dans la montagne. Marie m’encourage avec enthousiasme car elle est de plus en plus confiante au fur et à mesure que je déroule la partition que je lui ai fait déchiffrer dans le roadbook qu’elle tient en main comme un précieux grimoire. Pour moi, c’est un stimulant très efficace. Changement de ma Garmin 920XT par ma Garmin 910XT. Marie me redonnera la 920 à Nestani, si j’y parviens !
J’atteins le kilomètre 112,9 (CP32, Village d’Halkion) après 13h25 de course avec toujours une bonne heure d’avance. Je respecte désormais à la lettre mon plan de course, ce qui ne cesse de rendre Marie toujours plus confiante. Tout va donc toujours très bien et malgré le profil de la route qui se modifie, je reste confiant pour la suite. Les côtes me conviennent à l’allure à laquelle j’ai imaginé pouvoir les monter. Je préfère ce registre à celui de la descente même si je compte bien gagner du temps aussi dans les descentes. Je ne sais plus à partir de quelle heure la pluie s’est mise à tomber, une pluie digne de la Seine et Marne en novembre, lancinante et brouillasseuse, du genre à vous glacer jusqu’aux os.
Objectif Némée que je vais atteindre avec 1h05 d’avance sur les barrières horaires. Juan Carlos, qui m’a précédé à ce CP m’encourage à m’alimenter, me faisant miroiter des Souvlakis que je déguste avec délice. C’est difficile d’être seul dans la nuit mais cette avance et le fait d’avoir des jambes qui fonctionnent me tiennent en état d’exaltation. J’y suis dans mon Spartathlon et par moment, l’émotion me submerge car secrètement, la perspective de réussir mon pari commence à me sembler crédible. Je chasse vite ces pensées pour me reconcentrer sur l’essentiel : avancer !
A 1h01 du matin, je pointe enfin à Malendreni (CP40 km 139,8) avec 4 minutes d’avance sur mon plan de route et donc 50 minutes d’avance sur les barrières horaires. J’ai grignoté mon capital mais j’ai respecté mes prévisions, tout va bien malgré une fatigue intense, bien compréhensible à ce stade. Je suis motivé par la perspective d’atteindre Nestani après avoir franchi la montagne dont je rêve depuis longtemps. Marie est toujours aussi efficace et me prodigue encouragements et nourriture. Elle y croit vraiment et me pousse avec les autres suiveuses de l’équipe de France avec lesquelles elle a définitivement tissé des liens d’amitié. Quelle belle course dans la course !
Direction Lyrkia dans le froid et la pluie. Nous avançons bien, mais c’est pénible. Je continue ma progression en surveillant mes allures. Tout va donc encore pour le mieux puisque je pointe à Lyrkia (CP 43 ; km 148,3) à 2h15 du matin avec 55 minutes sur les barrières horaires.
J’entame alors ce qui, à postériori m’a semblé un des passages les plus délicats et les plus décisifs. J’ai froid et jusqu’au CP47 il reste 11 kilomètres de montée sévère, dans le froid et le brouillard. J’en ai plein les lunettes et malgré le coupe-vent, je suis trempé jusqu’aux os. A Kapparelli, je décide de faire une halte pour changer mes piles de frontale qui donnent des signes de fatigue en me disant qu’au CP47, il y aura du monde et la cohue n’est pas une bonne chose pour des manipulations techniques. Là, à Kaparelli, je coupe mon effort d’ascension et avec une délicieuse soupe chaude préparée par une dame très gentille, je me refais le plein d’un tonus nécessaire. J’ai pris un peu de temps mais je sens en moi que cet investissement va être salutaire.
La suite me donne raison car je suis bien plus à l’aise dans la suite de l’ascension et j’arrive enfin au CP47 à 4h24, pile dans les temps à 4 minutes près, où Marie m’attend, mais je ne traîne pas et j’enchaîne sur le chemin entre CP47 et Sagas Pass. Pour moi qui ai grimpé beaucoup en montagne, pas de problème dans ce secteur et je grimpe confiant malgré l’eau qui a rendu le calcaire glissant. Là-haut, je ne traîne pas non plus car ça souffle dur et il fait froid, très froid, il est pile 5h00, cela fait donc 22 heures de course au sommet du Spartathlon, ce chemin m’a pris 35 minutes environ.
Je dévale la pente en pestant sur la buée qui crible mes lunettes et que je dois placer sur le bout de mon nez pour regarder le chemin par-dessus, dans la lueur de ma frontale dont heureusement les piles sont neuves. Malgré tout je trottine en dépassant plusieurs coureurs qui préfèrent marcher dans la descente. Les cuisses font mal mais je parviens à toucher le bitume de Sagas et j’atteins le CP49 (km 164,5) à 5h26 avec une heure d’avance sur les barrières horaires… J’ai mis environ 25 minutes dans cette affreuse descente. A Sagas, j’ai une agréable surprise…l’ami Angel surgis de la nuit et qui est aussi joyeux qu’au départ !
Il va m’accompagner vers Nestani où m’attend Marie et la perspective d’un réconfort. Je pars devant et je trace ma route tandis que mon copain Angel commente son effort et la route. Il est insatiable.
Malgré tout, je grimpe mieux que lui et à l’approche du village, j’ai un peu d’avance. Cela me permet de prévenir Françoise de son arrivée. A Nestani, je suis fourbu, littéralement démoralisé d’un seul coup alors que tout va pour le mieux. J’en suis à 23h32 de course (temps proche de mon record sur 24 heures, (si l’on prend en compte la dénivelée et les conditions du Spartathlon, c’est plutôt fantastique) et j’ai toujours une bonne heure d’avance sur les barrières horaires. Oui, mais je doute soudain de réussir à envisager la suite. Marie me frictionne et me procure de quoi me réchauffer. Puis elle me botte littéralement le derrière en me rappelant tous les sacrifices que j’ai consentis et toute la détermination qui avait été la mienne jusque-là.
TROISIEME PARTIE : TENIR JUSQU'A SPARTE
C’est regonflé par ces bonnes ondes que je repars de Nestani, dans le petit jour qui pointe, avec l’idée qu’il va me « suffire » de maintenir un bon 6,5 km/h pour parvenir au but. Emmitouflé dans mon bonnet et avec plusieurs couches ainsi qu’un collant thermique, j’ai rapidement trop chaud. Mais je sais que je vais larguer tout ce fourbi dans 14,6 kilomètres, ce qui me semble tout de même une éternité à ce stade de la course. Les cuisses font mal et je pense que je n’ai pas assez travaillé ce secteur. Je préfère les montées car les descentes me cisaillent les quadriceps.
J’arrive à 8h50 à Zevgolatio d’Arcadie soit avec 55 minutes d’avance sur les barrières horaires. J’ai perdu un peu de temps à Nestani mais rien d’alarmant car l’objectif se rapproche et je le sens désormais accessible. Il me reste encore 60 kilomètres à faire en moins de 11 heures. Autant dire que c’est jouable. Mais il va falloir tenir, tenir, tenir.
Marie est toujours là, elle récupère mes affaires et en tenue de coureur de marathon, short et maillot manches courtes, avec la chaleur qui commence à remonter, je me sens bien mieux. Sans doute aussi que la perspective de réussir, qui s’était éloignée de mon esprit, est redevenue plus présente et elle me donne du baume au cœur. J’ai l’impression que je peux exprimer de nouveau un schéma de course que je connais bien. Je décide de faire un Cyrano alternant 5 minutes de course et une minute de marche. A ce rythme, je parviens doucement à Tégée (km 195,3) vers 10h15 toujours avec 55 minutes d’avance sur les barrières horaires. Je n’ai jamais couru une distance aussi longue de ma vie, c’est donc au-delà des 200 bornes que me propulse ce CP.
J’attends avec impatience de rejoindre la grande route qui conduit à Sparte car je sais que ça va monter encore. Je ne vais pas être déçu…
Cette année, le CP de Papantonis (km206,4) a été rajouté à la liste des CP où l’assistance est autorisée. J’y retrouve donc Marie un peu avant midi. Désormais, le soleil relativement clément, a toutefois fait une réapparition qui justifie un épongeage en règle. Je me délecte à me débarbouiller méthodiquement et à m’hydrater avec précaution. Marie me pousse avec beaucoup de ferveur. Je ne suis pas seul, c’est une évidence.
J’atteins Ardamis (CP 65 km212,3) vers 12h55, j’ai encore 50 minutes d’avance. Dans la côte je me sens vraiment bien compte-tenu du stade où j’en suis. Je trottine, faisant grimper mon pauvre cœur mais je récupère bien en marchant et ainsi de suite.
Cette satanée route est interminable, c’est peu dire. A Monument (CP68, km223,4) je prends conscience que c’est gagné car je ne vois pas ce qui pourrait encore m’arrêter alors que mon allure se maintient à 6,5 km/h. Il est 15h07 lorsque je quitte ce CP et il me reste 23 kilomètres à faire, avec pour objectif de quitter cette grande route pour bifurquer enfin à gauche vers le dernier CP où Marie me donnera le maillot du team France avec lequel je tiens à terminer.
Il restera alors 10,5 kilomètres à faire jusqu’à la statue. Je fais donc une dernière halte à la station de Voutianoi (CP72 km236,6), il est 17h05 lorsque je quitte ce dernier CP, je vais mettre encore une heure trente pour parvenir au but. Je « dévale » à presque 9 km/h cette dernière section et des ailes semblent me pousser. Après une série de virages en descente, c’est une série de lignes droites dans Sparte. On passe le pont de l’Evrotas et j’aperçois au loin mon ami Juan-Carlos qui marche vers la félicité. Je m’arrête à son niveau, confus de le dépasser à ce stade de la course mais il me dit qu’il est en train de vivre pleinement sa course et que je dois vivre pleinement la mienne. L’émotion me submerge et je continue ma course, passe à 18h05 sur le tapis de chronométrage annonçant à Marie mon arrivée imminente. Il y a du monde aux balcons et alors que je dépasse un groupe entier de coureurs, je bifurque soudain à droite dans une avenue au bout de laquelle j’aperçois la stature de Leonidas. Les larmes me viennent, tandis que Séverine, la femme de mon ami Philippe me tend un drapeau français. Je l’ai fait.
Je dois patienter quelques secondes avant de toucher enfin le pied tant convoité, Marie m’embrasse en me répétant : « Tu l’as fait, tu l’as fait ». On m’invite à ôter ma casquette, me remet la coupe que je prends du temps à vider complètement, la couronne d’olivier est déposée sur ma tête, un trophée dans la main et je regarde le ciel des fois que mon père y serait, en vain mais je suis heureux. C’est fini en 35h25 mais peu importe, c’est bien avant 36 heures.
EPILOGUE
Je n’en reviens pas encore même si au fond de moi, je sais avoir mis toutes les chances de mon côté. Je pense ne pas avoir grand-chose à me reprocher dans ma préparation durant laquelle j’ai jonglé avec ma tendinite qui pointait parfois son nez lorsqu’il fallait assumer un kilométrage et une intensité nécessairement exigeants. C’est passé, mais ça aurait pu, ne pas passer.
Je suis certain que préparer le Spartathlon permet de progresser quoiqu’il arrive, mais courir le Spartathlon permet aussi de faire des progrès. C’est une évidence, mais c’est tellement vrai…
J’ai donc progressé et l’avenir me dira à quel point et dans quels domaines. Je dois remercier mes copains du team France avec lesquels j’ai passé des moments inoubliables, y compris après la course où la rigolade fut de mise. J’ai apprécié le groupe dans son ensemble avec les accompagnateurs, ou plutôt les accompagnatrices. Je voudrais cependant remercier tout particulièrement l’un d’entre eux dont le geste m’a profondément touché. Dans la cohue de la fin de course, je n’ai pas récupéré mon tee-shirt de finisher. Le lendemain, l’organisation m’a promis de m’en procurer un que j’aurais dû récupérer lors du gala de remise des prix. Seulement voilà, il y a eu erreur et c’est un second tee-shirt de participation qui m’a été remis. Je n’ai pas osé faire une seconde réclamation et dépité j’ai renoncé à ce petit plaisir. Au moment de repartir, alors que je ne m’y attendais absolument pas David Le Broc ’h m’a gentiment offert le sien, touché qu’il avait été par mon parcours sportif.
Ce geste d’une grande générosité et plein de tout ce que j’admire chez un sportif, de surcroit un grand champion comme lui, m’a véritablement ému et je l’en remercie très sincèrement du fond du cœur.
Voilà, le Spartathlon c’est aussi des moments d’amitié comme celui-là.
Enfin, je dois une grande part de cette réussite à ma femme Marie qui n’étant pas sportive, comprend ma démarche et m’accompagne avec toute son énergie. Sans elle, le Spartathlon n’aurait peut-être pas existé dans ma vie.