Que faut-il retenir de cette course ? Qu’au 85ième km, mon allure moyenne était encore de 5’58’’/km ce qui préfigurait ce qui allait inévitablement se passer, que je n’atteindrais pas la ligne d’arrivée en moins de 10 heures… Dommage, mais ce n’est que partie remise. Je termine donc les 15 derniers kilomètres au mental mais satisfait par avance de l’amélioration considérable de mon chrono précédent (1h45 de mieux), ce qui de toute évidence, valide des progrès à la fois de préparation mais également de gestion de course. Certes, le parcours d’Amiens est plat et il faisait frais et sec, contrairement à la difficile course de Belvès où l’alternance pluie/ soleil en avait calmé plus d’un, mais je me sentais bien mieux à l’arrivée, heureux de courir et prêt à recommencer.
La préparation des 100 km d’Amiens avait débuté cet été à la mi-juillet sur mes parcours favoris de Seine et Marne puis s’était poursuivie par un véritable pèlerinage sur les routes de Grèce où nous avons passé nos vacances. Ce fût l’occasion de se motiver en découvrant le parcours du Spartathlon sous un soleil de plomb. En septembre, un marathon couru en dedans me permit de valider mon allure définitive 5’53/5’55 tout en clôturant la période de grosse charge d’entraînement. J’étais impatient d’en découdre et j’avais en tête trois objectifs hiérarchisés :
1) terminer en bonne santé avec des tendons intacts ; 2) améliorer mes 12h23 de Belvès ; 3) réaliser un chrono Spartathlon-compatible (9h59’59’’).
Côté stratégie de course, il s’agissait de courir de façon régulière puisque le parcours plat s’y prêtait en partant sur des bases raisonnables en Cyrano dès le départ (2400m de course à 5’48 suivis de 100m de marche pour se ravitailler ce qui fait 5’53 au km sur chaque cycle).
Arrivés la veille au soir après un trajet embouteillé pour contourner l’agglomération parisienne, je récupère mon dossard et ma puce et je confie mes 4 bidons de 600mL à l’organisation pour les ravitos situés respectivement aux km 18,7, 40, 58,8 et 78. Je partirai avec un bidon à la ceinture que j’échangerai aux points cités. Je pourrai donc me ravitailler tous les 2,5 km, soit de façon autonome, soit à partir des ravitos proposés par l’organisation et ce jusqu’à la fin sans bénéficier d’un accompagnement vélo… Resto, dodo et lever à 4h45 pour un petit déjeuner dans la chambre d’hôtel avant de se rendre sur l’aire de départ 30 minutes avant le coup de pistolet.
Surprise, à une demi-heure du départ, il n’y a encore personne et la ligne de départ n’est même pas éclairée et plusieurs concurrents sont comme moi, un peu perdus et stressés. Nous regagnons le gymnase où je me réchauffe et où je profite de l’occasion pour serrer la main de Roland Vuillemenot toujours détenteur du meilleur chrono français sur la distance. Je bafouille un peu pour le féliciter pour sa carrière sportive, ce qui semble l’amuser quelque peu. Nous voilà en route pour cette fois-ci, retrouver une ligne de départ à peu près éclairée…
La course est lancée pile à l’heure et je songe à me contrôler pour me mettre dans mon tempo le plus vite possible. Premier Cyrano avec un peu d’avance mais très vite je contrôle l’allure et je passe au 10ième km exactement dans le temps prévu (58’30’’), bise à mon épouse à laquelle je refile mes gants devenus inutiles.
Tout va bien, j’essaie de ne pas me disperser et je cours seul avec une obsession, respecter le plan de route. Après la boucle au sud d’Amiens, nous repassons sur l’aire de départ avant de nous enfuir dans la vallée de la Somme, tandis que le jour commence à se lever. Je déroule ma partition en me disant « Pourvu que ça tienne comme ça jusqu’au bout, du calme, du calme, tout va bien… ».
J’atteins ainsi le km30 en 2h57 alors que nous avons franchi ce qui est le passage le plus pentu de la course, à savoir une boucle entre le km20 et le km28 qui nous fait momentanément quitter le bord de l’eau. Je file toujours bon train désormais bien dans ma course et avec un peu plus de confiance lorsque je suis tracassé par une envie pressante…la pause technique s’impose dès que possible. Je réfléchis tout de même aux implications de ce détail qui n’en est pas un. Je vais devoir trouver un endroit convenable, m’exécuter efficacement et repartir. J’ai emporté avec moi du PQ dans un sachet congélation. Bilan de l’opération, environ 3 minutes de perdues…
Je repars en me disant qu’il va falloir grignoter le temps perdu de façon progressive pour ne pas modifier trop sensiblement mon tempo mais malgré tout, il ne s’agit pas de dormir.
Mes sensations sont bonnes mais je sais qu’à ce stade de la course cela ne signifie pas grand-chose alors le doute s’installe malgré les kilomètres qui défilent sans trop de difficulté.
Je passe au marathon en 4h12, ce qui est très raisonnable compte-tenu de mon objectif, le retard a été comblé sans trop d’efforts semble-t-il et je dois me concentrer sur la course. A la mi-course, mon chrono est de 4h56 et quelque secondes… Ce sera juste mais j’y crois encore, d’autant que je commence à remonter des coureurs qui m’avaient lâché assez tôt et qui semblent à la peine. C’est donc le moment de se raisonner en se disant qu’il reste encore 50 bornes et que la fatigue va arriver progressivement. Pour le moment, je sais qu’il faut atteindre l’extrémité de l’aller-retour situé vers le 62ième kilomètre, point psychologiquement important puisqu’ensuite ce sera le retour en direction de l’arrivée sur un terrain connu. C’est dans cette partie que je croise les premiers, en sens inverse, qui reviennent comme des flèches. Applaudissements de rigueur pour les champions qui eux-aussi nous applaudissent, c’est remarquable !
J’atteins le km70 en 6h57, côté énergie mentale et dynamisme tout est ok mais ce sont mes quadriceps qui commencent à se faire sentir… Pourtant, j’ai travaillé beaucoup en côte et en descente, mais je sens que ça va être dur. Pour autant, je tente de limiter la casse en allongeant un peu mes temps de marche ce qui porte mon allure au voisinage de 6’/km. Si je tenais à ce rythme, ce serait bon. Au km85 je fais encore illusion pour les dix heures puisque je passe en 8h25 ce qui correspond en théorie à un 10.09 de moyenne. Mais les 15 derniers kilomètres sont un calvaire mental, non pas que je lâche l’affaire, mais parce que je ne parviens plus à maintenir mon allure qui sombre vers les 8km/h…rendant impossible la mission que je m’étais fixée. Que s’est-il passé…ben pas grand-chose sinon que je ne devais pas être au niveau, tout simplement et qu’il y a encore du boulot. Des détails peut-être à prendre en compte : des vélos qui ont des trajectoires imprévisibles sur un chemin de deux mètres de large et qui vous forcent à changer d’allure de façon intempestive, des vélos encore qui s’arrêtent en pleine zone de ravito et vous forcent à les contourner pour saisir le gobelet convoité pour lequel vous êtes obligé de demander ce qu’il contient…rien de bien méchant mais mis bouts à bouts, ça use !
Je me dis alors que ça valait le coup, que malgré cette défaillance (relative) je vais améliorer mon chrono antérieur significativement validant ainsi des progrès précieux, conséquences de mes efforts. Alors je jette dans la course mes dernières forces pour rejoindre la ligne d’arrivée en 10h38, heureux de cette décision qui fait de moi un cent-bornard pour la seconde fois !
Il me reste encore du travail pour taquiner le sub-10heures, mais ce n’est que partie remise, c’est promis.
Christian Roïk