- Tu veux quoi pour ton anniversaire ? On fera ce que tu veux!

- ...une course alors???

Pendant 20 ans, même si Emmie a toujours été une petite femme compréhensive, je n’ai jamais vraiment osé lui faire cette réponse.

Mais, comme depuis 2 ans, elle s’est mise à son tour à la course à pieds, je n’ai maintenant plus aucun scrupule à faire ce genre de proposition…

Cette année, le 17 juillet (jour de mon anniversaire) tombe un dimanche. Quelle aubaine !

Alors à la question de savoir ce que je désire pour mes 46 ans, je fonce sur l’almanach VO2 : je veux une course, et même une belle course !

Je veux du dépaysement, je veux de la compet’, je veux de l’engagement. Je veux l’angoisse du départ et la délivrance des derniers mètres. Je veux du soleil, je veux de la montagne. Je veux de l’altitude et de l’air pur. Je veux Emmie avec moi sur la ligne de départ, à s’échauffer et à stresser ensemble. Je veux l’avoir et la voir en course auprès de moi. Je veux aussi qu’elle m’attende à l'arrivée et qu’elle m’encourage quand je passerai la ligne. Je veux qu’on partage ensemble les pâtes de la veille, le p'tit déj en silence du matin et la bière d’après course. Je veux les jambes lourdes et la fierté de l’avoir fait !

Et vous savez-quoi ? Tel un enfant (très !) gâté, j’aurai tout ça. Tout ! Et même bien davantage…

Le 17 juillet 2016, « La Montée du Nid d’Aigle » fête sa 30ème édition. Le hasard fait bien les choses…. Va pour cette course ! Petit coup de fil à l’organisation. 420 inscrits maximum. Il reste moins de 10 places encore disponibles. Une chance. Bulletin envoyé in extremis. Yapluka !

La « Montée du Nid d’Aigle », c’est un départ au Parc Thermal de Saint Gervais le Fayet à 580m d’altitude, et une arrivée jugée 20 km plus loin au refuge du Nid d’Aigle à 2407m, face au Mont-Blanc. Pas vraiment une ballade de santé. Emmie, qui n’a jamais fait de course de montagne de sa vie, a un peu peur quand même. Moi aussi, mais j’évite de le lui dire…

La « Montée du Nid d’Aigle » est classée n°1 des courses de montagne en France et compte pour le challenge européen de la montagne. Du coup, il y a du beau monde sur la liste des engagés : le team professionnel Salomon, des suisses, des anglais, des filles qui reviennent du Championnat de France de Km vertical… Des mecs et des nanas qu’on croirait tout droit sortis de la couv’ de Trail Magazine, du genre qui vous avalent l’UTMB en 24h, au visage tout buriné, avec des cuisses 3 fois comme les miennes… Nous, on a beau avoir enfilé nos plus belles tenues Odlo et Salomon, sur la ligne de départ, avec nos petites chaussures de piste, on passe quand même pour des charlots de parisiens venus faire du tourisme… Tant pis, le ridicule ne tue jamais.

Soleil de plomb dès le matin. La journée s’annonce magnifique. 8h30. C’est parti. 1er km sur route. Ca on connait et on sait faire. Donc on fait… à fond (3’55 en montée) histoire d’être bien placés pour attaquer les chemins. Au-delà c’est la montagne, la vraie. Quand la route s’achève, j’ai juste le temps de souffler à Emmie :

« T’as vu, t’es 5ème fille ».

« Mais je fais pas la course » me dit-elle.

Mais si, je la connais, la compétition, elle adore. D’ailleurs elle est déjà 30 mètres devant moi. Et au bout de 3 km, je ne l’aperçois même plus. Comme prévu, je ne la retrouverai qu’à l’arrivée, pour un petit bisou au passage de la ligne. C’est mon anniversaire après tout !

Même si quelques coureurs du coin (des chamois !) me doublent, de mon côté je me donne au maximum et ne mollis pas. J’avale les Km aussi vite que possible, concentré sur mon effort. J’arrive même à passer quelques mecs, dont un suréquipé en Salomon technique des pieds à la tête (chaussettes et lunettes compris). Je savoure. Il ne suffit pas de s’acheter la tenue de Kilian Jornet pour courir comme Killian… et toc !

Des filles me passent également. Vraiment trop fortes!

1h30 de course et 15 km avalés finalement assez vite, entre sentier en forêt, traversées de petits villages et passages rafraichissant le long des torrents. Les jambes commencent à piquer. Le souffle est court. Les premiers effets de l’altitude se font sentir. Il reste 5km et 1000m de D+ à gravir. Bienvenue en haute montagne. Le grand cirque peut maintenant débuter.

500m à parcourir dans la combe, sur un chemin étroit pour mouflon d’altitude, avant de buter sur un mur vertical de pierres et de rochers. Univers minéral. Ravitaillement posé à même le roc. On s’accroche comme on peut aux cordes fixes. On grimpe plié en deux sur des escaliers ferrés fichés dans la paroi avec comme horizon l’arrière train de celui qui vous précède... On lutte contre les crampes. On croise des mecs stoppés net en plein effort, brutalement tétanisés et obligés de s’assoir momentanément. On espère juste ne pas finir comme eux.

Enfin, au détour d’un ultime lacet, on perçoit le bruit du micro et on distingue une petite tente blanche, plantée au pied du glacier de Bionnassay. Emmie est là tout sourire à m’attendre depuis 5 minutes. C’est bon de se retrouver! Malgré l’exiguïté de l’endroit, l’organisation a tout prévu : nos affaires de rechange héliportées depuis Saint Gervais, un stand de massage, du thé chaud et même un plat de pâtes. On est mieux que dans le meilleur 3 étoiles du monde. On voudrait rester là des heures.

Mais il faut déjà songer à redescendre. Le trajet retour par le tramway du Mont Blanc rempli de coureurs fait partie intégrante de la fête, tout comme la remise des prix dans l’après-midi au parc thermal de Saint Gervais. Emmie est dans le Top 10 féminin (7ème!), et fait le podium V1. Elle reçoit un magnifique aigle en bois sculpté à la main. Ce trophée-là ne rejoindra pas tous les autres, mais ira directement sur notre cheminée. Il est simple, dépouillé, à l’image de cette course unique. On imagine les mains de l’artiste concentré à le façonner, et je sais les tripes qu’il a fallu pour aller le chercher. Dessus est gravée la date de mon anniversaire. Et je n’aurais pas rêvé mieux comme cadeau….

Résultats:

Emmie:    2h38'45      82ème / 305 au classement général ,7ème féminine et 2ème V1F.

Renaud:   2h43'39      101ème au classement général, 26ème V1H.

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